La nécessité d’une charte de déontologie pour les enquêteurs administratifs émerge au sein des collectivités, offrant un cadre clair et complet sur les principes et obligations déontologiques. Alors que diverses professions disposent déjà de codes déontologiques, l’enquête administrative reste peu encadrée légalement, laissant à l’autorité territoriale la latitude de décider des conduites à adopter. Dans ce contexte, l’absence de directives claires peut compromettre l’intégrité des enquêtes et l’image de l’Administration. Afin de remédier à cette lacune, la proposition d’une charte de déontologie spécifique aux enquêteurs internes vise à sensibiliser ces derniers à leurs responsabilités et à assurer des enquêtes menées avec impartialité, objectivité, et professionnalisme. La charte qui est proposée énonce les principes essentiels guidant la conduite des enquêteurs, renforçant ainsi l’intégrité et la crédibilité des enquêtes administratives au sein des collectivités locales.
-
I) Vers le besoin d’une charte de déontologie pour les enquêteurs administratifs (ou internes).
La charte de déontologie (ou code de déontologie) a pour objectif de fournir à une collectivité et à ses agents un document clair et complet sur les principes et obligations déontologiques auxquels la structure et ses effectifs sont soumis. Pour la HATVP, ce document doit être facilement identifié et utilisable par l’ensemble des agents et, le cas échéant, des élus. Une charte de déontologie permet d’offrir un référentiel unique auquel tout membre d’une organisation peut se rapporter pour son action quotidienne. Elle permet de surcroît d’harmoniser les règles et les pratiques au sein de l’administration.
La charte de déontologie peut, au besoin, revêtir un caractère plus fin, avec une version par profession plutôt que par collectivité. C’est d’ailleurs plus proche de la définition du terme “déontologie” qui se traduit par “ l’ensemble des règles et des devoirs régissant une profession" [1]. Le code de déontologie vise donc à définir et indiquer la conduite correcte dans le cadre de l’exercice d’une profession. Ces codes existent déjà pour diverses catégories de professions telles que les médecins, les psychologues, les infirmiers, les policiers et les gendarmes, les avocats et nouvellement les notaires et les commissaires de justice … Ils revêtent une importance cruciale dans ces domaines, car le non-respect de leurs dispositions, notamment lorsqu’un ordre est institué, peut entraîner des conséquences pouvant aller jusqu’à la suspension ou la perte du droit d’exercer la profession, en plus des conséquences juridiques habituelles.
Pour ce qui est de l’enquête administrative, il n’existe aucune contrainte légale ou réglementaire en imposant une conduite particulière, comme l’ont confirmé la Cour administrative d’appel de Paris dans l’affaire M. B. A. du 18 mars 2022 [2]. En effet, c’est au pouvoir discrétionnaire de l’autorité territoriale compétente de décider la conduite d’une enquête administrative, si elle le juge nécessaire, opportun ou utile dans les circonstances données. Ainsi, seule cette autorité peut prendre l’initiative.
L’enquête administrative peut avoir une vocation aussi vaste que la liberté d’organisation qui lui est offerte, avec notamment l’engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent, ou inversement en vue de l’octroi de la protection fonctionnelle ou l’établissement de la matérialité des faits et des circonstances des signalements (dans le cadre du dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes).
Les modalités de réalisation d’une enquête administrative (ou interne) sont très peu encadrées et seule la jurisprudence nous permet de définir des grands principes, notamment sur les thèmes de l’impartialité et loyauté de l’enquête, de l’absence de principe du contradictoire, du secret et de la discrétion professionnelle. Pour aller plus loin sur ces principes nous pouvons conseiller la lecture du “vade mecum de l’enquête administrative” réalisé par le CDG 31 [3] .
Toute l’enquête repose néanmoins sur le respect de ces principes, sous peine, le cas échéant, de nullité des procédures ultérieures engagées. L’autorité territoriale jouit d’une grande latitude dans le choix de l’enquêteur ou de la mission d’enquête, avec une restriction unique : celle de ne pas confier cette responsabilité à une personne manifestant une animosité personnelle envers l’agent concerné. Ainsi, l’enquêteur n’est pas toujours assez formé aux pratiques d’enquête pour exercer dans le respect des obligations déontologiques qui pèsent sur lui, le statut d’enquêteur n’étant pas une profession mais une mission ponctuelle… Néanmoins, au vu des enjeux cruciaux, notamment pour l’image de l’administration, et du manque d’encadrement légal de l’enquête administrative, il est nécessaire de promouvoir la mise en place d’une charte de déontologie à vocation des enquêteurs internes.
L’utilité de la charte sera de faire prendre conscience aux enquêteurs du rôle qu’ils occupent, et des obligations et principes déontologiques que l’exercice de la mission d’enquête implique. Ainsi, cette charte est proposée et a été conçue pour leur permettre d’adopter le bon comportement, en trouvant le ratio entre exhaustivité et concision. Il est aussi préférable d’imposer aux intéressés de la signer avant le commencement de la mission.
II) Proposition de la charte à faire adopter.
Charte de déontologie des enquêteurs internes (ou administratifs)(Avril 2024)
Avant-propos.
En tant qu’enquêteurs administratifs, nous nous engageons à respecter les plus hauts standards déontologiques et professionnels dans l’exercice de nos fonctions. Cette charte de déontologie vise à guider notre conduite et à assurer l’intégrité, l’impartialité, l’indépendance et la probité pour s’assurer de la justesse de nos conclusions d’enquête.
Nous reconnaissons que notre rôle revêt une grande responsabilité, que notre plus-value réside dans notre objectivité, et nous nous engageons à agir avec loyauté envers toutes les parties concernées.
Dans cet objectif, nous nous engageons à respecter les articles suivants :
Article 1 - L’enquêteur agit avec impartialité.
(1) L’enquêteur veille à ne pas être en conflit d’intérêts. Pour rappel : constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. L’enquêteur veille à ne pas avoir de relations personnelles avec les personnes dans le champ de l’enquête, qu’elles soient auditionnées ou commanditaires. (2) L’enquêteur veille à ne pas avoir de préjugé et à ne pas favoriser une des parties. En ce sens, il accorde une attention égale à toutes les preuves et témoignages pertinents qui lui sont fournis.
Article 2 - L’enquêteur agit avec objectivité.
L’enquêteur veille à ne pas défendre les intérêts de son mandataire ou du mis en cause par l’enquête. Ainsi, l’enquête administrative ne peut être réalisée à charge ou à décharge. L’enquêteur veille, dans sa méthodologie, à faire transparaître une unique vérité, celle obtenue uniquement par les moyens de l’enquête. L’enquêteur s’engage à ne pas orienter les questions en fonction des auditionnés. La méthodologie d’enquête est établie en amont de sa réalisation pour supprimer tout risque de parasitage par une influence personnelle ou externe. L’enquêteur peut, le cas échéant poser des questions ciblées, dans l’unique objectif de faire la lumière sur des points et non pour piéger, tant que cette pratique reste marginale. Les objectifs de l’enquête doivent être établis en premier lieu de l’enquête et l’enquêteur les porte préalablement à la connaissance des auditionnés.
Article 3 - L’enquêteur agit avec loyauté.
(1) L’enquêteur ne saurait instruire son enquête avec des éléments reçus de façon déloyale. Ainsi, il ne peut aiguiller ses questions pour piéger les auditionnés. (2) L’enquêteur administratif s’engage à auditionner ou recevoir les éléments de toutes les personnes pouvant faire la lumière sur des points de l’enquête.
Article 4 - L’enquêteur retranscrit avec fidélité les éléments énoncés.
L’enquêteur s’engage à retranscrire le plus fidèlement possible les propos des auditionnés dans les procès-verbaux (ou les comptes rendus).
Article 5 - L’enquêteur respecte le secret professionnel et la discrétion professionnelle.
(1) L’enquêteur veille à ne pas informer les auditionnés des témoignages reçus. En ce sens, il ne confronte pas un auditionné avec le témoignage d’un autre. (2) Dans son rapport, l’enquêteur s’engage à ne divulguer que les renseignements nécessaires à instruire l’enquête et à la justification de la conclusion (exception faite de l’application de l’article 40 du code de procédure pénale).(3) L’enquêteur s’engage au respect du RGPD (Règlement général sur la protection des données).(4) L’enquêteur ne transmet son rapport qu’à l’autorité territoriale compétente.(5) L’enquêteur veille, si le représentant de l’autorité territoriale est mis en cause par les auditionnés de l’enquête, à ne transmettre leur rapport qu’à son représentant dûment désigné.
Article 6 - L’enquêteur agit avec professionnalisme et réactivité.
L’enquêteur maintient des normes élevées de professionnalisme dans toutes nos interactions, en faisant preuve de courtoisie, de respect et de diligence dans l’exercice de ses fonctions.Conscient des enjeux de l’enquête administrative et des délais qui y sont associés, il agit avec rapidité.
Article 7 - L’enquêteur fournit un rapport de qualité.
L’enquêteur fournit des rapports complets, précis, et dont la conclusion est claire.
Article 8 - La constatation d’incompétence.
Lorsqu’un enquêteur n’est pas en mesure de garantir la bonne application des articles précédents, il le fait savoir au commanditaire de l’enquête pour que lui soit trouvé un remplaçant.
Article 9 - Le maintien de la continuité du service public.
L’enquêteur s’engage, par son comportement et sa méthodologie, à ne pas interférer avec la bonne organisation des services, étant conscient de l’importance qu’est la continuité du service public.
Article final.
En adhérant à cette charte de déontologie, nous nous engageons à promouvoir une culture de responsabilité et d’intégrité au sein de notre fonction, et à servir avec dévouement et engagement les intérêts de la fonction publique et de ses agents.
[1] Définition du dictionnaire Larousse : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9ontologie/23671
[2] n° 21PA01779 ; ou plus anciennement le Conseil d’État le 23 novembre 2016
Σχόλια