Le référent déontologue pour les élus locaux est obligatoire depuis le 1er juin 2023. Pourtant, les collectivités ont eu beaucoup de difficultés dans sa mise en place pour plusieurs raisons dont la principale réside en la difficulté de trouver une personne compétente en déontologie qui ne soit pas en conflit d’intérêts avec la collectivité. Un autre frein à ce dispositif résulte de son financement, qui prend la forme d’indemnités de vacations, percevables en fonction du nombre de saisines ou de leurs difficultés. Il apparaît donc évident que pour donner au référent les moyens de promouvoir la déontologie dans la fonction publique territoriale le recours au référent déontologue pour les élus ne devrait pas peser sur le budget des collectivités.
-
Au sommaire de cet article...
L’article 218 de la loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a modifié l’Article L1111-1-1 du Code Générale des Collectivités Territoriales qui dispose de la charte de l’élu local, en y ajoutant la possibilité pour tout élu local de consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques consacrés par cette charte.
Le Décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local spécifie qu’il appartient à chaque collectivité et établissement public de procéder à la désignation de ce référent déontologue. Le référent ou les membres du collège de référents ne doivent plus exercer de mandat d’élu local depuis au moins trois ans et ne doivent pas être agent de la collectivité, ni être en conflit d’intérêt avec elle [1].
Pour rappel, la définition du conflit d’intérêts est très large : “Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.” Il semble compliqué dans un premier temps pour les élus d’être en relation avec une personne respectant ces conditions, et respectant en plus celles issues de sa compétence et de son expérience [2].
Pour que son rôle soit utile, le référent déontologue nommé par la collectivité doit donc avoir la confiance de tous les élus, sans que son objectivité ou que son impartialité ne puisse être remise en cause. Cet exercice de nomination est déjà complexe, mais des moyens ont été apportés pour permettre cette mise en relation, notamment grâce au concours des Centres de gestion et des assemblées d’élus.
Une autre problématique que celle de la nomination persiste néanmoins, à savoir celle du coût pour la collectivité, puisqu’aucun moyen de contrôle n’est possible ou prévu. En effet, le référent étant indépendant et soumis au secret professionnel, l’autorité territoriale n’a pas de vision sur le travail effectif rendu. De plus, tous les élus pouvant solliciter le référent dans le secret, la budgétisation du service est difficile, extrêmement variable en fonction de la communication qui est faite, et ce que le référent soit dans un cadre individuel, donc indemnisé au dossier, ou dans un cadre collégial, donc au temps de travail.
Ce que l’on peut constater, c’est que les collectivités ont nommé leur référent déontologue ou sont en voie de le faire, mais que cette nomination a pour le moment peu d’effets concrets, puisqu’elle a pour unique objet de respecter la modalité du décret et que la plus value de ce nouveau service est encore à démontrer. Beaucoup d’interrogations restent en suspens, notamment sur les moyens de trouver un référent compétent qui ne soit pas en conflit d’intérêts avec la collectivité, au sujet de comment s’assurer de ses compétences à long terme ou encore sur les moyens de son financement.
Un coût de fonctionnement à la charge de la collectivité impossible à prévoir et un encadrement difficile.
Le décret n° 2022-1520 du 6 décembre fixe la modalité de rémunération du référent déontologue pour les élus locaux, sous la forme d’indemnités de vacations. Ce premier point est intéressant parce qu’il exclut la nomination d’une personne morale, cette dernière ne pouvant pas être vacataire. Des plafonds fixés à 80€ par dossier et à 300€ pour la présidence effective d’une séance du collège d’une demi-journée et à 200€ pour la participation effective à une séance du collège d’une demi-journée [3] [4] ont été prévus par l’arrêté du 6 décembre pris en application du décret. Cela représente, pour un collège de trois référents, le versement de 700€ d’indemnités de vacation pour une demi-journée.
Ces plafonds ne sont cependant pas un moyen de garantie de maîtrise des coûts pour le budget de la collectivité. En effet, dans le premier cas, le référent déontologue n’a pas à rendre de compte sur le nombre de dossiers traités et personne ne peut savoir la proportion d’élus qui vont avoir besoin d’un avis. Dans le cas d’un collège, personne, pas même les référents, ne peuvent à l’avance savoir combien de temps il faudra passer sur un dossier, et donc une difficulté dans le travail préparatoire au vote du budget de la collectivité est à prévoir.
D’autres craintes plus marginales sont partagées par les élus, à savoir :
dans le cadre d’une nomination du référent individuel, que ce dernier ne considère une réponse d’incompétence comme un dossier traité et ouvrant ainsi son droit aux indemnités de vacations. Et dans le cas inverse, qu’un dossier particulièrement complexe ne soit survolé pour optimiser le temps passé dessus, attendu que le référent ne peut prétendre percevoir que 80€ par dossier, indépendamment du temps nécessaire pour y répondre.
dans le cadre collégial : l’indemnité de vacation pouvant être perçue en fonction du temps passé sur un dossier, que les référents entrent dans des débats herméneutique stériles afin d’assumer des réponses chronophages.
dans les deux cas, la crainte persiste en ce que des élus d’opposition n’instrumentalisent le recours au référent déontologue dans l’unique objectif de déséquilibrer le budget de la collectivité pour ainsi restreindre les possibilités d’investissement de l’autorité territoriale. [5]
Le problème insoluble réside dans le fait que le référent demande les indemnités auxquelles il a droit à postériori des sollicitations des élus, et sans apporter aucun détail sur son travail effectif pour respecter le secret et la discrétion professionnelle qu’il ne peut méconnaitre.
II - Un risque de déontologie “à deux vitesses” en raison de l’impact budgétaire.
Sans retomber dans les craintes d’une volonté de nuire de certains élus d’opposition et en partant du principe que tous les référents déontologues sont probes, la problématique du poids budgétaire du recours au référent reste entière. En effet, avant la parution du décret, les élus étaient en droit de s’attendre à ce que le référent déontologue pour les élus locaux bénéficie de la même mise en place que le référent déontologue pour les agents et les collectivités. On constate d’ailleurs que la majorité des Centres de gestions se sont orientés vers les mêmes personnes pour assurer les missions de référent déontologue pour les agents et les collectivités et pour les élus locaux.
Pour ne conserver que les différences budgétaires entre ces deux institutions [6], il est à noter que la désignation du référent déontologue pour les agents et les collectivités est une compétence obligatoire des Centres de gestion, alors que celui pour les élus est au mieux une compétence facultative.
Cette différence est fondamentale sur le coût du service, puisque dans le premier cas, le référent est d’apparence gratuite, son coût étant supporté par la cotisation obligatoire des collectivités à leur Centre de gestion, alors que le référent pour les élus, lorsque le Centre de gestion s’est estimé compétent pour proposer son assistance, induit une facturation qui peut même pour certains départements mener, via un conventionnement, à un coût facturé supérieur aux plafonds des indemnités de vacations fixées par la décret.
Pour les collectivités qui ne sont pas affiliées au Centre de gestion, il est d’usage de désigner un juriste pour assurer la fonction de référent déontologue pour les agents et la collectivité, en lui attribuant un quota de temps pour assurer cette mission. Cette possibilité n’est pas viable pour le référent déontologue pour les élus locaux, ce dernier ne pouvant pas être un agent de la collectivité au nom de l’objectivité, de l’indépendance et du risque de conflit d’intérêts que cela impliquerait.
Le recours au référent déontologue par les élus a donc un coût non négligeable, difficilement compressible et imprévisible, et ce, que ce dernier soit choisi directement par la collectivité ou qu’il soit désigné par le biais d’un Centre de gestion.
Le nœud du problème est alors l’impact sur le budget de la collectivité. En effet, toutes les collectivités doivent nommer un référent déontologue pour les élus locaux, ce qui signifie qu’une collectivité de moins de 100 habitants, dont les recettes sont restreintes et qui comptent à l’euro près les dépenses, doit prévoir le coût du référent déontologue pour les sept élus en cas de questions, et ce, sans qu’elle ne puisse s’y opposer.
Le moyen trouvé actuellement par les petites collectivités pour faire face à cette nouvelle dépense est de ne pas médiatiser autour de la possibilité de demander l’avis du référent et ainsi restreindre ce droit au maximum. Cela néglige l’article 1 du décret du 6 décembre, qui dispose que “les informations permettant de consulter le ou les référents déontologues ou le collège sont portées par tout moyen à la connaissance des élus locaux intéressés par chaque collectivité territoriale”.
Pourtant, c’est dans les petites collectivités qu’il y a un risque majeur de conflit d’intérêts [7] dû à la méconnaissance de son champ d’applicabilité très large et c’est pour ces élus que le recours à un référent peut avoir le plus d’utilité. Il est donc regrettable de constater que le poids financier d’un service pèse plus (proportionnellement parlant) sur les petites collectivités, qui se voient ainsi amputé d’un apport précieux.
III - La plus value de rendre le recours au référent déontologue pour les élus à titre gracieux.
On constate que le référent déontologue pour les élus locaux est désigné par délibération, et qu’il en va de même pour sa révocation. Une des interrogations que nous pouvons donc avoir est sur l’existence d’un biais dans les avis rendus pour rester en poste. En effet, l’indépendance peut-elle être garantie s’il y a une question de rémunération lorsque l’avis rendu par le référent est contraire aux aspirations de l’élu qui en fait la demande ?
On voit bien alors que la question de la rémunération soulève des doutes. Le meilleur moyen pour promouvoir la déontologie dans toute la fonction publique, et ne pas pénaliser les élus des petites collectivités, serait de rendre gratuite la possibilité de recours au référent déontologue pour les élus. En effet, si on compare avec les agents de la fonction publique, ces derniers peuvent saisir le référent déontologue quasiment dans les mêmes modalités et avec les mêmes garanties de secret, d’objectivité et de qualité de l’avis rendu, le tout gratuitement. Pourquoi les élus seraient-ils moins bien accompagnés alors qu’ils sont plus exposés ? Selon les termes de Jean-Louis NADAL [8], “[la déontologie est la] boussole de l’action publique, elle aiguille les fonctionnaires et les élus dans l’exercice de leurs missions quotidiennes. Source de légitimité, elle est un rempart face à la défiance grandissante des citoyens envers leurs institutions et leurs responsables publics.” Pour que cette déontologie puisse “aiguiller” les fonctionnaires et les élus, il faut donner les moyens aux élus de pouvoir recevoir un conseil utile, sans craindre de peser sur leur budget, comme c’est le cas pour les fonctionnaires [9].
On peut aussi citer l’expertise et la lucidité de certains autres référents déontologues, représentés ici en la personne de Claude BEAUFILS, qui oeuvrent pour que la déontologie soit la même pour les élus et les agents [10].
De plus, il n’était pas rare en cas de doute d’un élu, que ce dernier se tourne vers la préfecture ou vers les associations d’élus. Peut-on alors vraiment leur accorder un droit qu’ils avaient déjà en n’ayant pour unique conséquence que de faire payer la collectivité ?
Le service bénévole permet aussi d’éviter un des problèmes que le référent peut rencontrer quand il est mutualisé entre différentes collectivités et que la question de l’élu porte sur un cumul entre deux mandats, celle de savoir qui le rémunère.
Malheureusement, en l’état actuel des textes, on peut noter que les collectivités ont déjà du mal à trouver un référent déontologue pour les élus compétent, alors que ce dernier a droit aux indemnités de vacations et donc que lui proposer les mêmes contraintes dans le cadre du pro bono risque d’accentuer la difficulté de la recherche.
Certaines solutions peuvent être apportées, c’est notamment ce que proposent certains Centres de gestion avec la gratuité du service la première année ; ou “le collège de déontologie [11]” qui offre ses services gratuitement avec une alternative originale : une association à but non lucratif dont la visée est de promouvoir la déontologie dans la fonction publique. Ainsi, leurs services sont gratuits, et les collectivités qui le souhaitent peuvent les soutenir en les subventionnant, sans aucune obligation. Cela permet aux collectivités d’avoir un contrôle sur l’impact budgétaire du service, et aux référents d’assurer leur impartialité et leur objectivité ; de plus, tout est réinvesti pour la promotion de la déontologie dans la fonction publique.
[1] Article 1 du décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local.
[2] Idem
[3] Article 3 de l’Arrêté du 6 décembre 2022 pris en application du décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local
[4] D’autres éléments de rémunérations additionnels peuvent être mis en place selon les modalités de l’arrêté.
[5] Certains guides mentionnent que le référent n’est habilité pour répondre qu’aux questions personnelles des élus, mais ces guides n’ont aucune valeur normative et c’est au référent de statuer sur ses compétences.
[6] D’autres différences peuvent être à noter, notamment en matière de désignation ou dans le fondement même de la compétence sur la déontologie.
[7] Ainsi que des dérogations légales à la qualification de prise illégale d’intérêts pour les élus des collectivités de moins de 350 habitants (Article 432-12 du code pénal).
[8] Dans le Guide 1 de la déontologie de la HATVP https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2019/04/HATVP_guidedeontoWEB.pdf
[9] Comprendre fonctionnaire au sens large d’agent public.
[10] https://www.lagazettedescommunes.com/819176/le-deontologue-devrait-etre-le-meme-pour-les-elus-et-les-agents/
Comments