Le harcèlement moral prend une place préoccupante dans la gestion des acteurs publics, et notamment dans la fonction publique territoriale. En effet, une étude récente révèle que 40% de ses agents disent en avoir été victimes tandis que la proportion est de 28% dans la Fonction publique d’État, et de 27% dans la Fonction publique hospitalière. La lutte contre le harcèlement moral continue de s’organiser après le constat alarmant de l’enquête de la FNCDG qui révélait que seulement 34,9% des collectivités avaient mis en place un dispositif de signalement des Actes de Violence, de Discrimination, de Harcèlement et d’Agissements Sexistes.
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Au sommaire de cet article...
Même si ces dispositifs remplissent leur rôle, il est important de faire un état des lieux sur les moyens d’actions que possède l’employeur en cas de remontée d’informations relevant potentiellement du harcèlement moral d’un manager vers ses agents publics, ces dispositifs ne dispensent pas l’employeur de sa responsabilité puisqu’étant un canal d’information entre la victime et l’employeur.
De fait, nous rappelons que l’objectif des dispositifs de signalements restent la communication à l’employeur, reste à ce dernier de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser les actes. Un doute subsiste quant au rôle du régime disciplinaire dans les évolutions des caractéristiques du harcèlement, de surcroît lorsque le poste de l’harceleur vise des compétences managériales.
Ces évolutions nous questionnent sur la réaction appropriée de l’autorité territoriale en cas de remontées d’informations relevant du harcèlement moral, notamment quand elles mettent en cause un responsable de la collectivité ainsi que les moyens d’enquête administrative.
La conception est encore relativement nouvelle puisque c’est dans un arrêt du 12 mars 2010 que le Conseil d’Etat reconnaît la possibilité de demander la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral, et ce dernier pouvant émaner d’une insuffisance professionnelle du manager, avec ou sans volonté de nuire.
I. Rappel des notions.
Le harcèlement moral est défini à l’article L133-3 du code général de la fonction publique, qui donne une définition du harcèlement moral :
« aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Trois conditions cumulatives sont à retenir pour qualifier un harcèlement moral :
les agissements doivent être répétés. Le caractère répétitif du harcèlement moral peut être effectif sur une très courte période ou à partir du moment où les faits ont eu lieu deux fois
la dégradation matérielle ou morale des conditions de travail (individuelle ou collective)
une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique / mentale ou à l’avenir professionnel de l’agent. L’atteinte porte sur l’individu mais il n’est pas nécessaire de prouver les conséquences dommageables du harcèlement moral, leur simple éventualité étant suffisante.
Le harcèlement moral peut émaner de tous les acteurs de la fonction publique, c’est-à- dire un élu, un supérieur hiérarchique, un subordonné, des collègues de travail …
Cependant, cet article se concentre sur le harcèlement moral d’un supérieur vers ses subordonnés.
La définition de la protection fonctionnelle est définie aux articles L134-1 et suivants du code général de la fonction publique, qui dispose que :
« L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre ».
Ainsi la protection fonctionnelle peut se traduire comme les mesures de protection et d’assistance dues par l’administration à un agent en vue de le protéger contre les attaques dont il fait l’objet dans le cadre de ses fonctions ou en raison de ses fonctions. C’est à l’administration d’accorder ou non la protection fonctionnelle à un agent en se basant sur les faits remontés par ce dernier dans sa demande.
L’enquête administrative n’est encadrée par aucun texte législatif ou réglementaire, seule la jurisprudence administrative précise certaines règles, surtout relatives à l’objectivité des enquêteurs. Elle permet à l’autorité territoriale de se créer une conviction sur des éléments potentiellement illégaux ou fautifs qui lui sont rapportés. L’enquête administrative peut être un préalable indispensable au registre disciplinaire ou pour octroyer la protection fonctionnelle.
NB1 : Pour des facilités de compréhension, lorsque cet article évoque le régime disciplinaire (ou registre disciplinaire), il fait allusion à la volonté de sanctionner l’agent. Il faudra veiller à ne pas y inclure la saisine obligatoire du conseil de discipline dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.
II. La construction de l’enquête administrative pour des faits relevant du harcèlement moral (régime de preuve), l’instruction de la conviction de l’administration.
Un fait de harcèlement moral peut donner lieu à la manifestation de plusieurs juridictions, celui-ci étant aussi pénalement répréhensible, en plus du régime disciplinaire. Un point qu’il est intéressant de détailler est alors celui du régime de la preuve qui n’est pas le même entre le régime disciplinaire et le régime juridique.
En effet, dans le cadre disciplinaire, l’autorité territoriale doit se former une conviction sur la véracité du harcèlement (ou à défaut des carences managériales) pour pouvoir sanctionner l’auteur des faits. C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat en 2022 [1] en estimant que le régime disciplinaire, donc le conseil de discipline lorsqu’il est saisi, ou à défaut l’autorité territoriale doit se forger une conviction sur l’existence du harcèlement. Cela permettrait ainsi à l’administration d’échapper au formalisme des preuves dudit harcèlement, lui offrant ainsi une liberté sur ses estimations. A l’inverse, quand les faits présumés de harcèlements sont portés devant les juges, la charge de la preuve suit un formalisme particulier et est partagée entre l’agent et l’administration, et donc, dans le cas présent, le manager.
« Considérant d’une part qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile » [2].
La conclusion est intéressante puisqu’on demande à l’administration de pouvoir justifier devant les juges, de ses choix dans sa gestion du personnel en se basant sur des faits mais aussi des ressentis énoncés par l’agent se sentant victime de harcèlement moral.
Le but de l’enquête administrative, dans le cadre d’un harcèlement moral d’un supérieur vers ses subordonnés, a un double objectif : elle doit permettre de vérifier que les faits remontés par les agents ont une réalité pour que l’autorité territoriale puisse accorder ou non la protection fonctionnelle, mais elle doit surtout permettre d’établir un caractère fautif. Pour rappel, le caractère fautif, ou plutôt la volonté de nuire, n’est pas nécessaire pour qualifier un harcèlement moral. Cependant, il sera déterminant pour connaître les moyens d’actions dont dispose la collectivité à l’encontre de l’auteur des faits.
En effet, l’enquête administrative peut aussi conclure que le harcèlement moral n’existe pas, mais il faudra alors que l’autorité territoriale soit prudente en forgeant son opinion attendu aux aménagements de preuve relatif au harcèlement moral émanant du Conseil d’Etat [3] (si la victime portait son cas devant la juridiction) : « Considérant d’une part qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ».
III. Le harcèlement moral susceptible de relever du régime disciplinaire.
Le régime disciplinaire est la réponse traditionnelle appliquée en interne par l’autorité territoriale aux auteurs de harcèlement. C’est d’ailleurs ce qui est rappelé dans la Question écrite n°13166 relative à la « Nature et gravité de la sanction visant les auteurs de harcèlement moral prévue à l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligation des fonctionnaires » cet article ayant été transposé par les articles 133 du code de la fonction publique. Il ressort de ce texte que « les sanctions encourues s’inscrivent donc dans une échelle graduée, de la même manière que les peines qui peuvent également être infligées aux agents publics auteurs d’actes de harcèlement moral au titre des infractions pénales ».
En l’état actuel du droit, l’article L133-3 est ainsi rédigé :
« Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l’appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un agent public en raison du fait que celui-ci : 1° A subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés à l’article L133-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° de cet article, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés, ou les agissements de harcèlement moral mentionnés à l’article L133-22° A formulé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ou agissements 3° Ou bien parce qu’il a témoigné de tels faits ou agissements ou qu’il les a relatés ».
Jusqu’au 1er septembre 2022, le même texte comportait cette disposition en plus : « Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder à ces faits ou agissements ». Ainsi, le recours au régime disciplinaire des agents publics se rendant coupable de harcèlement semblait évident et comme la réponse adéquate jusqu’en 2022.
Cependant, il est établi que la responsabilité disciplinaire d’un agent public ne peut être engagée que si ce dernier a commis une faute. Il n’existe pas de définition légale de la faute disciplinaire. Cette notion nécessite néanmoins que l’acte découle de la mauvaise volonté délibérée de l’agent, en opposition avec son inaptitude à accomplir ses missions. Ce critère de mauvaise volonté n’est pas nécessaire dans la reconnaissance du harcèlement moral, du fait que la loi ne comporte aucune exigence d’une intention de nuire pour établir un délit de harcèlement moral. C’est d’ailleurs l’objet de la jurisprudence de la Cour de Cassation [4] qui dès 2009 mentionnait que la dégradation des conditions de travail pouvait résulter ou non d’une intention de nuire.
Enfin, il faut préciser que la qualification de harcèlement moral n’est pas nécessaire pour que le volet disciplinaire soit utilisé à l’encontre d’un management toxique. C’est le cas qui a été soulevé par la CAA de Versailles [5] qui précise que le comportement autoritaire d’un agent à l’égard de ses subordonnés peut justifier une sanction disciplinaire, sans pour autant constituer des faits de harcèlement moral. De plus, nous rappelons la notion jurisprudentielle relative à la conviction de l’autorité disciplinaire. Dans le cas présenté, la décision de licenciement prise par l’employeur avait été considérée comme disproportionnée. Il était question de contrôle excessivement étroit de ses collaborateurs qui a conduit à un climat de travail dégradé et qui excède les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, d’usage excessif des messages électroniques et de relances systématiques des agents à des intervalles très réduits.
Il est alors démontré que même sans intentionnalité de nuire et sans harcèlement moral, le régime disciplinaire peut sanctionner un manager pour ses pratiques. La question que nous nous posons néanmoins relève, de fait, du caractère fautif de l’agent. En effet, l’entrave au bon fonctionnement du service peut revêtir un caractère fautif, mais il pourrait davantage être question d’insuffisance professionnelle attendu de l’incapacité objective et durable de l’agente à exécuter de façon satisfaisante l’emploi qui relève de son cadre d’emploi [6].
La frontière entre le disciplinaire et l’insuffisance professionnelle est particulièrement mince, mais il ressort que la mauvaise volonté revêt un caractère fautif, donc punissable, même si elle crée une « insuffisance professionnelle ».
Un autre arrêt nous permet d’affirmer que cette ambiguïté est présente même au sein des juridictions. Notamment pour la question des défaillances dans le management [7]. Le juge précise : « qu’ils pourraient également relever de l’insuffisance professionnelle, de tels agissements, qui caractérisent des manquements de l’intéressée aux obligations qui lui incombent, présentant un caractère fautif justifiant qu’une sanction disciplinaire lui soit infligée ».
Ces jurisprudences nous permettent d’établir que le régime disciplinaire pour les carences managériales, relevant ou non du harcèlement moral, restent pour l’autorité une question de manquement personnel du manager et peuvent être résolues par des sanctions. Ce biais réside dans le fait que l’employeur préfère transférer la responsabilité d’un management autoritaire, quand bien même pourrait-il être qualifié de harcèlement moral, sur le manager plutôt qu’en prenant une part de responsabilité dans le recrutement et donc dans les pratiques du manager.
Cependant, le régime disciplinaire appliqué à un manager n’est pas sans conséquences sur son leadership, sa crédibilité devant les agents qu’il encadre, et ainsi la continuation de ses missions dans les meilleures conditions.
IV. Le harcèlement moral sans intentionnalité de l’auteur.
Dans le cas où l’enquête administrative pointe un potentiel harcèlement moral sans intentionnalité de l’auteur des faits, le recours aux sanctions semble hors de propos attendu qu’à l’inverse de la faute, l’insuffisance professionnelle consiste en l’incapacité à exercer les fonctions correspondant à un grade par rapport aux capacités que l’administration est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de ce grade. Le harcèlement moral sans intentionnalité de l’auteur semble répondre davantage à l’insuffisance de compétence managériale, d’où la plus-value de se questionner sur les motivations de l’harceleur même si elles ne sont pas considérées pour constituer des faits de « harcèlement moral ».
On peut donner des exemples de harcèlement moral qui sont imputables à de la méconnaissance ou de l’inattention tel que des modifications dans l’emploi du temps d’un salarié sans nécessité [8] ou dans un autre cas d’espèce, des dysfonctionnements managériaux matérialisés par un encadrement inadéquat ayant eu pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail [9].
Cette responsabilité sans faute dans le cadre du harcèlement doit encore s’instaurer dans la culture territoriale mais sa prise en compte est déjà actée puisque jusqu’au 1er septembre 2022, l’article 133-3 du Code général de la fonction publique, et c’était la même écriture pour la loi dite « Le Pors », avait cette disposition en plus : est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder à ces faits ou agissements. Cette partie a été supprimée, permettant ainsi d’apprécier un caractère fautif ou non de l’auteur. Il en découle donc que pour l’administration, l’un des objets principaux de l’enquête administrative n’est plus de savoir s’il y a harcèlement moral, mais bien si ce dernier est volontaire ou non.
Plutôt que la question sur une faute ou une volonté délibérée, c’est la question des compétences de l’agent harceleur qui va donc devoir être centrale : si c’est volontaire, le régime disciplinaire pourra être engagé à l’encontre de l’agent, par contre si c’est involontaire, il est question d’insuffisance professionnelle. La question intéressante est de savoir si la pratique découle d’une carence managériale qui crée un management toxique. Si c’est le cas l’agent peut être tenu responsable des carences.
Ainsi, il faut s’intéresser aux obligations de l’administration en matière d’entretiens annuels, d’évaluation des compétences, de respect des cadres d’emplois et de recrutement.
C’est dans ce sens qu’en 2022 [10] le Conseil d’Etat confirme le licenciement d’un responsable de police municipale, sur le fondement de son insuffisance professionnelle. Cependant, comme l’attestent plusieurs agents du service, ce dernier adressait des remarques humiliantes à ses collaborateurs, était auteur d’un management particulièrement directif, sans consignes claires, générant un sentiment d’insécurité, une perte de confiance et d’estime de soi chez les agents.
Un agent du service a même été placé en arrêt maladie pour un syndrome anxiodépressif en relation avec son activité professionnelle et a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle. Or, ces faits semblent pouvoir relever de la qualification de harcèlement moral et son auteur, d’une sanction disciplinaire. Néanmoins, en l’espèce de la décision du 25 octobre 2022, le chef de service, directement responsable d’une désorganisation de son équipe, d’une mauvaise ambiance, voire du départ de certains agents ou de leur placement en arrêt maladie, a pu être considéré comme n’exerçant pas les missions dévolues à son corps et ainsi faire l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le licenciement pour insuffisance professionnelle [11] peut se caractériser par des carences managériales de nature à compromettre le bon fonctionnement du service alors même que les compétences techniques de l’agent ne sont pas contestées. C’est ce qui ressort d’un arrêt du Conseil d’Etat [12] dans lequel l’employeur territorial avait, à raison, pu se baser sur l’incapacité de son agente occupant le poste de directrice de la culture à développer des relations de travail adéquates avec ses équipes, ce qui était susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service, sans même que ne soit remis en question les compétences techniques de l’agente en question. Néanmoins, le Conseil d’Etat [13] insiste sur le fait que pour que l’argument de l’insuffisance professionnelle soit retenu par l’employeur, il faut, et c’est logique, que le grade (ou les fonctions) occupées par l’agent comprennent lesdites aptitudes managériales nécessaires. Ce cas fait référence à un agent de catégorie B qui avait vu son licenciement prononcé par sa collectivité au motif de ses manquements managériaux (difficultés relationnelles avec certains agents, difficultés dans les relations au travail susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service). Le Conseil d’Etat avait alors estimé que les fonctions d’encadrement n’étaient pas essentielles à la catégorie d’emploi de l’agent. L’autorité territoriale s’était pourtant fondée, entre autres, sur la dégradation RPS via un rapport d’analyse externe.
Nous nous rendons alors compte d’un paradoxe, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un agent public ne pouvant être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, le registre disciplinaire [14] sera alors privilégié pour le cas précédemment exposé alors que c’est l’administration qui est en partie fautive, et alors que le harcèlement moral peut être supposé sur le fondement des RPS.
En effet, avec les moyens de preuves simplifiés dans le cadre disciplinaire, en se basant sur la conviction de l’autorité disciplinaire, donc en échappant au régime juridique de la preuve (pour rappel que l’ agent se sentant harcelé doit fournir les éléments allant dans ce sens et qu’il revient à l’administration de prouver que cela ne rentre pas dans du harcèlement), nous sommes en droit de penser que ce fonctionnement interne va minimiser le rôle du choix de recrutement qui est à l’origine du problème et ainsi ausculter le caractère involontaire du harcèlement du manager. L’impartialité de l’employeur peut donc être remise en question, ce dernier revêtant une responsabilité dans le harcèlement et en plus de perdre un cadre, qui pourrait lui-même se sentir harcelé par l’administration et ses agents. Elle préférera donc le moyen de la sanction.
En matière de responsabilité de l’employeur, c’est d’ailleurs ce que rappelle le Conseil d’Etat [15] : « Le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral pour apprécier la réalité du harcèlement ». En revanche, si le harcèlement moral est vraiment caractérisé, la faute de la victime ne constitue pas pour l’employeur public une cause d’exonération de sa responsabilité. Dans le cadre du harcèlement moral qui relève de l’incompétence, nous voyons donc que l’impartialité de l’administration peut être remise en cause, que cette dernière aura tout intérêt à utiliser le régime disciplinaire, pour essayer de transférer, même arbitrairement, la responsabilité de la dégradation des conditions de travail sur une autre personne qu’elle.
Il faut donc retenir pour le cas particulier du harcèlement moral sans intentionnalité de l’auteur qu’il est préférable, avant d’avoir recours au licenciement pour insuffisance professionnelle, de proposer des formations au management aux agents ayant des fonctions d’encadrement.
Cette proposition de formation, si elle est refusée par l’intéressée ou si elle n’a pas d’effets, permettrait de justifier les critères de son insuffisance. De plus, elle permet d’en sortir deux plus-values : la crédibilité du manager est moins impactée comparé à l’usage des sanctions (nous rappelons que cela vaut uniquement dans ce cadre de non intentionnalité de nuire), et elle peut, si liée à l’autres dispositions, faire partie des moyens d’attribution de la protection fonctionnelle pour les agents se sentant harcelés.
Ce cadre du harcèlement moral involontaire d’un manager aurait intérêt à être encadré tant les conséquences sur l’harceleur sont différentes. Prenant acte de la portée de l’arrêt du conseil d’Etat relatif au régime de preuve propre, au régime disciplinaire et à l’autorité territoriale [16], nous pouvons encourager, dans ce cadre interne, qu’un terme spécifique soit employé dans ce cas précis de harcèlement managérial involontaire, tel que : harcèlement moral organisationnel, attendu que c’est l’administration qui a choisi un manager qui n’a pas les bonnes compétences. La déontologie nous invite à renvoyer la responsabilité des griefs soulevés aux responsables, en partageant ladite responsabilité entre le manager et la collectivité employeuse. De plus, le harcèlement institutionnel devient particulièrement empreint de conflit d’intérêts dans sa reconnaissance, attendu que l’administration doit admettre elle-même sa faute.
Pour finir, la reconnaissance du harcèlement moral (organisationnel) se développant de plus en plus, il est très probable que l’insuffisance professionnelle prenne le pas sur le régime disciplinaire.
NB2 : Le harcèlement moral organisationnel serait à ne pas confondre avec le harcèlement moral institutionnel qui a été reconnu et créé par la Cour d’Appel de Paris suite à l’affaire France Télécom et qui se traduit par un harcèlement moral à l’échelle de l’entreprise entière. Est ainsi visé le mode de gestion toléré, encouragé ou systémique relevant du harcèlement managérial, harcèlement moral entre collègues (même sans différence de niveau hiérarchique), et autres formes de violences.
NB3 : Le harcèlement moral organisationnel ne serait pas non plus à confondre avec le harcèlement managérial, qui, bien que similaire, méconnaît le caractère volontaire ou involontaire qui en découle. Issu principalement du secteur privé ou le management revêt un caractère plus professionnel que dans la fonction publique où son questionnement reste relativement récent et non susceptible de rentrer dans la notion de harcèlement moral organisationnel présentée, attendu que son champ relevant davantage des techniques managériales délibérées que de l’incompétence involontaire du manager.
[1] Conseil d’Etat, 2 mars 2022, n°444556.
[2] Conseil d’Etat, Section 11 juillet 2011, n°321225 et Conseil d’Etat 25 novembre 2011, n°353839.
[3] Conseil d’Etat, Section 11 juillet 2011, n°321225 et Conseil d’Etat 25 novembre 2011, n°353839
[4] Cass. Soc 10 nov 2009.
[5] Arrêt n° 19VE01849-20VE00140 du 21 janvier 2021.
[6] Cass. Soc. 22 sept. 2021 n° 19-22166.
[7] CAA Marseille 20MA02501 du 10 novembre 2021.
[8] Cass. Soc. 02 mars 2011, n°08-43-067.
[9] Cass. Soc, 10 novembre 2009, 07-45-321.
[10] Conseil d’Etat 20 mai 2016 n°387105.
[11] Ou plutôt l’insuffisance managériale.
[12] Conseil d’Etat 20 mai 2016 n°387105.
[13] Conseil d’Etat 20 juillet 2021 n°441096.
[14] Pour apporter une sanction.
[15] Conseil d’État, Section du Contentieux, 11 juillet 2011 n°321225.
[16] Précédemment cité, CE, 2 mars 2022, n°444556.
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